Par Abdeslam Seddiki
Le concept de culture lui-même est difficile à cerner. L’auteur nous apprend qu’il a été listé en 1952 plus de 160 définitions ! En se référant à l’UNESCO, « la culture est considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances ».
Sur cette base, l’UNESCO distingue 12 domaines répartis en trois groupes : un noyau dur de la culture constitué du patrimoine culturel et naturel, des arts de la scène et festivités, des arts visuels et artisanat, du livre et presse, audiovisuel et médias numériques, design et services créatifs et patrimoine culturel immatériel ; deux domaines périphériques à savoir le tourisme et les sports et loisirs ; trois domaines transversaux : l’archivage et la préservation, l’éducation et la formation et les équipements et matériaux de soutien. Ainsi, comme on le voit, la culture a un contenu matériel (exemple œuvre d’art) et un contenu immatériel (exemple croyance).
Toujours est-il que les droits culturels, dans leur diversité, font partie aujourd’hui de la palette des droits humains tels qu’ils sont universellement reconnus.
Comme telle, la culture a un lien dialectique avec le développement. Ainsi, les facteurs culturels peuvent constituer un blocage au développement comme ils peuvent en être un stimulant. De son côté, le développement peut favoriser l’épanouissement de la culture. L’auteur de « culture et développement » écrit à ce sujet : « la culture s’impose par son apport à l’économie à travers les valeurs marchandes qui dérivent du marché, mais également comme un facteur non-économique de bien-être et de développement durable à travers les sources non marchandes, immatérielles et les bénéfices qu’en retirent les individus et la collectivité ».
Par ailleurs, le développement pourrait agir sur le changement des structures traditionnelles et l’évolution des valeurs d’une société comme cela a été démontré par plusieurs études citées par l’auteur. Mais l’effet n’est pas mécanique et le rythme auquel se réalise ce changement n’est pas le même partout.
Pour faire de la culture un véritable levier du développement, il faudrait bâtir une stratégie nationale de la culture. A cet égard, l’auteur est catégorique et tranchant : « le pays ne dispose pas encore d’une stratégie nationale de la culture, ni de compte satellite, ni d’informations sur l’effort financier transversal de l’Etat dans le domaine culturel ».
En l’absence d’une telle vision, les performances économiques de la culture demeurent modestes, les valeurs traditionnelles résistent au changement, la liberté de création demeure menacée par la censure encore à l’œuvre notamment dans le domaine cinématographique qui reste soumis « à un régime de police comportant une autorisation administrative préalable à toute projection publique » (p.91). De telles pratiques, faut-il le préciser, sont contraires à l’esprit de la constitution de 2011.
Un autre facteur contraignant réside dans l’insuffisance des moyens financiers mis à la disposition du Minière de la culture. On a beau à exprimer des ambitions et à prononcer des discours généreux sur la culture, cela demeurerait des vœux pieux tant que l’intendance ne suivra pas. Les chiffres sont parlants : le budget du Ministère de la culture évolue en dents de scie au fil des années avec une moyenne de 0,26% du budget général pour la période 2012-2019. Bien sûr, le budget destiné à la culture ne se limite pas à celui alloué au département de la culture.
D’autres entités publiques interviennent sur certains aspects spécifiques. C’est le cas du Ministère de l’éducation nationale, de l’artisanat, des RME, des affaires étrangères à travers la diplomatie culturelle, des Habous et affaires islamiques etc. Même en additionnant toutes ces rubriques, on resterait loin de l’objectif consistant à affecter 1% du budget général de l’Etat à la culture. En outre, les dépenses des ménages relatives à la culture, telle qu’elles ressortent de la dernière enquête nationale sur la consommation et les dépenses des ménages (2014) sont réduites à leur portion congrue : à peine 300 DH en moyenne annuelle par personne soit moins d’un dirham par jour !
Autrement dit, chaque marocain consacre en moyenne 1,9% de son budget à la « culture et loisirs ». Encore faut-il souligner qu’il s’agit d’une moyenne nationale qui ne tienne pas compte des disparités sociales et territoriales. Ainsi, un rural ne consacre que 115 DH à la culture contre 423 DH pour un urbain. De même, les 10% les plus pauvres ne dépensent en moyenne que 17 DH, soit 1% de ce que dépensent les 10% les plus riches ! Le secteur privé, dont la culture n’est pas son domaine favori, ne fait guère mieux : à l’exception de certaines fondations appartenant aux grands groupes, les actions du mécénat d’entreprise et de philanthropie sont pratiquement inexistantes.
La même indigence est observée au niveau des collectivités territoriales. On y assiste à de véritables déserts culturels que les budgets attribués à ces entités n’arrivent plus à combler : manque de complexes culturels, de théâtres, de salles de cinéma, de galeries d’art. C’est la misère culturelle à grande échelle.
Il ne faut pas non plus perdre de vue le rôle que jouerait la culture dans le développement du « soft power » en montrant une image positive du pays auprès des influenceurs et des opinions publiques à l’extérieur. La culture s’avère, par conséquent, un facteur d’attractivité non négligeable.
Ces développements montrent, si besoin est, l’urgence d’agir. Le changement se fera par la culture ou ne se fera pas. Une culture qui libérerait les initiatives, réveillerait les consciences et stimulerait la créativité. Une culture qui rompe avec certaines pratiques sociales désuètes, et certaines valeurs rétrogrades.
A l’occasion de la tenue du 27éme salon international de l’édition et du livre, il est utile de rappeler ces considérations.
Mohamed Lotfi M’rini, « Culture et développement, Repères pour une politique culturelle » Fondation de Salé pour la Culture et les Arts, décembre 2020, 280 pages.
Rédigé par Abdeslam Seddiki
Sur cette base, l’UNESCO distingue 12 domaines répartis en trois groupes : un noyau dur de la culture constitué du patrimoine culturel et naturel, des arts de la scène et festivités, des arts visuels et artisanat, du livre et presse, audiovisuel et médias numériques, design et services créatifs et patrimoine culturel immatériel ; deux domaines périphériques à savoir le tourisme et les sports et loisirs ; trois domaines transversaux : l’archivage et la préservation, l’éducation et la formation et les équipements et matériaux de soutien. Ainsi, comme on le voit, la culture a un contenu matériel (exemple œuvre d’art) et un contenu immatériel (exemple croyance).
Toujours est-il que les droits culturels, dans leur diversité, font partie aujourd’hui de la palette des droits humains tels qu’ils sont universellement reconnus.
Comme telle, la culture a un lien dialectique avec le développement. Ainsi, les facteurs culturels peuvent constituer un blocage au développement comme ils peuvent en être un stimulant. De son côté, le développement peut favoriser l’épanouissement de la culture. L’auteur de « culture et développement » écrit à ce sujet : « la culture s’impose par son apport à l’économie à travers les valeurs marchandes qui dérivent du marché, mais également comme un facteur non-économique de bien-être et de développement durable à travers les sources non marchandes, immatérielles et les bénéfices qu’en retirent les individus et la collectivité ».
Par ailleurs, le développement pourrait agir sur le changement des structures traditionnelles et l’évolution des valeurs d’une société comme cela a été démontré par plusieurs études citées par l’auteur. Mais l’effet n’est pas mécanique et le rythme auquel se réalise ce changement n’est pas le même partout.
Pour faire de la culture un véritable levier du développement, il faudrait bâtir une stratégie nationale de la culture. A cet égard, l’auteur est catégorique et tranchant : « le pays ne dispose pas encore d’une stratégie nationale de la culture, ni de compte satellite, ni d’informations sur l’effort financier transversal de l’Etat dans le domaine culturel ».
En l’absence d’une telle vision, les performances économiques de la culture demeurent modestes, les valeurs traditionnelles résistent au changement, la liberté de création demeure menacée par la censure encore à l’œuvre notamment dans le domaine cinématographique qui reste soumis « à un régime de police comportant une autorisation administrative préalable à toute projection publique » (p.91). De telles pratiques, faut-il le préciser, sont contraires à l’esprit de la constitution de 2011.
Un autre facteur contraignant réside dans l’insuffisance des moyens financiers mis à la disposition du Minière de la culture. On a beau à exprimer des ambitions et à prononcer des discours généreux sur la culture, cela demeurerait des vœux pieux tant que l’intendance ne suivra pas. Les chiffres sont parlants : le budget du Ministère de la culture évolue en dents de scie au fil des années avec une moyenne de 0,26% du budget général pour la période 2012-2019. Bien sûr, le budget destiné à la culture ne se limite pas à celui alloué au département de la culture.
D’autres entités publiques interviennent sur certains aspects spécifiques. C’est le cas du Ministère de l’éducation nationale, de l’artisanat, des RME, des affaires étrangères à travers la diplomatie culturelle, des Habous et affaires islamiques etc. Même en additionnant toutes ces rubriques, on resterait loin de l’objectif consistant à affecter 1% du budget général de l’Etat à la culture. En outre, les dépenses des ménages relatives à la culture, telle qu’elles ressortent de la dernière enquête nationale sur la consommation et les dépenses des ménages (2014) sont réduites à leur portion congrue : à peine 300 DH en moyenne annuelle par personne soit moins d’un dirham par jour !
Autrement dit, chaque marocain consacre en moyenne 1,9% de son budget à la « culture et loisirs ». Encore faut-il souligner qu’il s’agit d’une moyenne nationale qui ne tienne pas compte des disparités sociales et territoriales. Ainsi, un rural ne consacre que 115 DH à la culture contre 423 DH pour un urbain. De même, les 10% les plus pauvres ne dépensent en moyenne que 17 DH, soit 1% de ce que dépensent les 10% les plus riches ! Le secteur privé, dont la culture n’est pas son domaine favori, ne fait guère mieux : à l’exception de certaines fondations appartenant aux grands groupes, les actions du mécénat d’entreprise et de philanthropie sont pratiquement inexistantes.
La même indigence est observée au niveau des collectivités territoriales. On y assiste à de véritables déserts culturels que les budgets attribués à ces entités n’arrivent plus à combler : manque de complexes culturels, de théâtres, de salles de cinéma, de galeries d’art. C’est la misère culturelle à grande échelle.
Il ne faut pas non plus perdre de vue le rôle que jouerait la culture dans le développement du « soft power » en montrant une image positive du pays auprès des influenceurs et des opinions publiques à l’extérieur. La culture s’avère, par conséquent, un facteur d’attractivité non négligeable.
Ces développements montrent, si besoin est, l’urgence d’agir. Le changement se fera par la culture ou ne se fera pas. Une culture qui libérerait les initiatives, réveillerait les consciences et stimulerait la créativité. Une culture qui rompe avec certaines pratiques sociales désuètes, et certaines valeurs rétrogrades.
A l’occasion de la tenue du 27éme salon international de l’édition et du livre, il est utile de rappeler ces considérations.
Mohamed Lotfi M’rini, « Culture et développement, Repères pour une politique culturelle » Fondation de Salé pour la Culture et les Arts, décembre 2020, 280 pages.
Rédigé par Abdeslam Seddiki